Avez-vous dit « âgisme » ? Âgisme et mode de vie physiquement actif (MVPA), dans le contexte d’une population vieillissante

La proportion de personnes de plus de 65 ans qui suivent la directive canadienne en matière de mouvement sur 24 heures oscille toujours autour de 40 %. Lorsqu’on mesure la pratique d’activités physiques avec des accéléromètres plutôt que des questionnaires, cette proportion chute à 15 %. Connaissant la contribution de l’activité physique au maintien de l’autonomie des personnes aînées et le contexte actuel où 85 % des 7 millions de Canadiennes et Canadiens âgés de 65 ans et plus souhaitent vieillir à domicile et dans leur communauté, qu’est-ce qui empêche tant de gens de faire de l’activité physique?

Nous avons exploré un domaine peu couvert en promotion de l’activité physique, au-delà des habituelles barrières de manque de temps, d’habiletés et de motivation : l’âgisme. Nous avons voulu comprendre le rôle de l’âgisme dans la promotion d’un mode de vie physiquement actif (MVPA) chez une population vieillissante. Nous avons consulté la littérature et réalisé une série d’entretiens avec 18 cadres de 11 organismes non gouvernementaux (ONG) œuvrant en plein air, sport, saines habitudes de vie, urbanisme, transport actif et loisirs.

Qu’est-ce que l’âgisme?

L’âgisme se définit (OMS, 2021) par « des stéréotypes, des préjugés ou une discrimination à l’égard de personnes en raison de leur âge ». C’est ce qu’on pense, ce qu’on ressent et ce qu’on fait et, sur le plan institutionnel, ce qui se traduit par des politiques, des mesures ou des normes. 

Que sait-on de l’âgisme en lien avec un mode de vie physiquement actif?

Des recherches publiées au cours des cinq dernières années, on peut tirer les constants suivants : 

  • Les campagnes de promotion montrent rarement des personnes âgées de plus de 65 ou 70 ans;
  • L’offre de services destinée aux personnes aînées est souvent peu attrayante, parfois infantilisante, avec peu de contacts intergénérationnels. L’avancée en âge est souvent associée à une diminution des capacités et cela questionne le « type » d’activités physiques qu’il convient d’offrir ou de représenter;
  • Les spécialistes de la santé hésitent à conseiller des exercices vigoureux, privant les personnes aînées de force et de puissance. Les jeunes spécialistes tendent à entretenir des stéréotypes à l’égard des personnes aînées; 
  • Les personnes responsables de l’aménagement des milieux de vie tendent à ne voir que le côté vulnérable des personnes aînées. 

L’âgisme peut affecter la propension des personnes aînées à être physiquement actif de trois façons

Les personnes aînées se voient rarement représentées dans les campagnes promotionnelles, les dépliants ou tout autre matériel qui font la promotion de l’activité physique. Elles peuvent développer une perception négative de leur vieillissement (Hooker, 2019). Elles peuvent aussi en venir à cesser progressivement toute participation sociale, comme dans les clubs et les ligues (Gibney, 2017). Enfin, les personnes aînées qui sont convaincues du déclin inévitable de leur santé et qui ont en quelque sorte internalisé les stéréotypes présents dans la société depuis des lustres font moins d’activité physique que leurs pairs qui ignorent les stéréotypes. Conscients des divers stéréotypes à leur égard (ex. : diminution des capacités d’exécution, des capacités d’apprentissage), les personnes aînées qui se sentent jugées peuvent craindre de confirmer, par leurs comportements, ces stéréotypes. Lorsque cela survient, l’anxiété qu’elles ressentent à cet égard peut, à elle seule, diminuer leurs performances (Swift, 2017). S’en suit généralement un sentiment d’incompétence et ultimement l’abandon de la pratique d’activités physiques qui, malheureusement, les prive des bienfaits sur la santé. 

Ce que disent nos entretiens avec les ONG

  • De façon très spontanée, on nous dit que les personnes aînées peuvent pratiquer n’importe quelle activité physique, mais l’intensité pourrait varier. 
  • De nos jours, savoir à quel âge on devient une « personne aînée » est un peu plus compliqué. Les répondantes et répondants se basent sur les lignes directrices (les personnes de 65 ans et +), les données d’enquêtes ou l’âge établi par le gouvernement. Dans tous les cas, à partir de 50, 60 ou 65 ans, les « personnes aînées » entrent dans une catégorie d’âge qui couvre plusieurs décennies et est peu segmentée. Il faut comprendre ici que les répondantes et répondants sont conscients qu’ils généralisent, mais faire autrement nécessiterait des connaissances qu’ils n’ont pas par manque de temps et de ressources. Ils élaborent leurs services à partir de leurs connaissances (formelles et informelles) et de certaines croyances (explicites et implicites). 
  • C’est dans la sphère publique qu’ils trouvent les manifestations les plus concrètes de l’âgisme. Très au fait de notre nouvelle démographie, ils remarquent, par exemple, la rareté d’images de personnes aînées dans l’industrie du sport, du plein air, etc., à une époque où l’image est beaucoup plus importante que les mots.
  • Lorsqu’ils voient des personnes aînées, comme le démontre la littérature, ils constatent qu’ils sont dépeints comme frêles, fragiles, vulnérables ou, à l’opposé, en personnages « irréalistes », représentant le succès et la jeunesse éternelle. Ceci pose un défi pour encourager les personnes aînées à bouger. Les limitations physiques, à différents degrés, font partie du processus du vieillissement, mais rares sont les publicistes qui, au moment de promouvoir l’activité physique, incluent des personnes aînées.

Bien que, d’après nos répondantes et répondants, l’âge ne soit pas déterminant dans le fait de bouger ou pas, leur discours lors des entretiens révèle que plus l’âge augmente, plus les capacités physiques, l’intérêt pour bouger et la présence dans les médias diminuent. Inversement, plus les mesures de sécurité et tout ce qui concourt à l’accompagnement et au confort des usagers se doivent d’augmenter (voir schéma). 

Le portrait qu’ils ont d’un mode de vie physiquement actif dans le contexte d’une population vieillissante déteint malheureusement sur l’offre de services et celle-ci vise à diminuer la sédentarité, prévenir les chutes et briser l’isolement. Bien qu’elle convienne à une partie des personnes aînées, une proportion non négligeable d’entre elles est susceptible de vouloir une offre de services plus soutenue, plus engageante.

Conclusion 

Comme le suggère l’OMS avec l’initiative la Décennie pour un vieillissement en bonne santé, prendre conscience de l’âgisme et examiner ses pratiques personnelles est un premier pas. Pour faire mieux, les ONG nous ont dit avoir besoin de plus de connaissances pour mieux segmenter et comprendre les besoins variés de cette vaste clientèle, mais également de signaux clairs des bailleurs de fonds quant à en faire une priorité de promotion ou pas. Ils doivent aussi pouvoir accompagner et former leurs constituantes. De petits changements peuvent mieux servir cette clientèle et lui donner accès à une variété d’occasions de bouger et de socialiser tout en ayant du plaisir. Parce qu’au bout du compte, être physiquement actif est bénéfique et nécessaire à tout âge.  

Références : 

  1. DÉPARTEMENT DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES. Rapport mondial sur l’âgisme – Résumé, [En ligne], 2021. OMS, [https://www.who.int/fr/publications/i/item/9789240020504].
  2. HOOKER, K, ST. Mejía, S. PHIBBS, EJ TAN, J. STEVENS. « Effects of Age Discrimination on Self-perceptions of Aging and Cancer Risk Behaviors », The Gerontologist, Vol. 59, Juin 2019, p. S28–S37. [https://doi.org/10.1093/geront/gny183].
  3. GIBNEY, S., N. MORAN, M. WARD, S. SHANNON. « The Effects of Discrimination and Perceptions of Ageism on Community Participation among Older Adults », Age and Ageing, Vol. 46, Septembre 2017, p. iii1–iii12. [https://doi.org/10.1093/ageing/afx145.20].
  4. SWIFT, H.J., D. ABRAMS, R.A. LAMONT et L. DRURY. « The Risks of Ageism Model: How Ageism and Negative Attitudes toward Age Can Be a Barrier to Active Aging », Social Issues and Policy Review, 2017, 11(1), p. 195-231. [https://doi.org/10.1111/sipr.12031].

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